La chambre du secret

La chambre du secret [Texte imprimé] : quarante-six photographies / Olivier Verley ; avec un texte d'Eric Chevillard. - [Grâne] : Creaphis éd., impr. 2010. - 1 vol. (103 p.) : photogr. en noir ; 24 cm.

Publié à l'occasion de l'exposition éponyme qui s'est tenue au Château de la Roche-Guyon. - Notes bibliogr.
ISBN 978-2-35428-026-0 (rel.). -

Depuis la mi-novembre, j’ai auprès de moi un livre. Posé sur le coin de mon bureau. Un très beau livre — extérieurement déjà, ce qu’on appelle : un bel objet. À l’intérieur, c’est encore mieux. Depuis lors, j’ai envie de vous en parler. Quelque chose m’en a empêché : quoi ? Le temps m’aurait-il manqué ? Parfois, mais pas toujours. J’ai eu devant moi de longues heures libres, et à quoi les ai-je consacrées ? À feuilleter ce livre, par exemple ; à scruter ses images.
Car c’est un livre d’images — semble-t-il. Aurais-je été intimidé par sa préface, qui paraît tout dire ? Il faut dire qu’elle est signée Éric Chevillard...

Mais non, c’est autre chose. Cela tient à la nature de ces images.

Elles sont gorgées de silence.

Le silence qui en émane leur fait une troisième dimension. Le silence sourd du noir et blanc qui les compose. Le silence de la pose, dont il nous est dit qu’elle dura, pour chacune d’entre elles, quatre minutes. Ce sont en effet des photographies. Plus exactement, des portraits. Quarante-six visages. Qui me regardent. Silencieusement. M’imposant le silence. Cela fait un bien fou. Et pourtant, en écrire — comme on dit : en découdre ? Découdre ma bouche bienheureusement cousue par ces regards ?

Bouche cousue, il s’agit bien de ça. Le livre s’appelle : La chambre du secret. Son auteur, Olivier Verley.

Quarante-six humains ont passé devant son objectif. Celui d’une antique chambre photographique, de fabrication allemande, temps de pose, on l’a dit : quatre minutes. Avec un temps pareil — par un temps pareil — un léger flou est inévitable. Or, paradoxe admirable : ce flou précise ces visages. Un autre paradoxe encore : ce flou léger est infiniment grave.

Non, on ne regarde pas ces visages à la légère. Ce ne sont pas des portraits de plus, dans un monde qui croule sous les clichés. Olivier Verley a demandé à ses modèles — il n’aime pas ce mot, il préfère parler de co-auteurs — de penser à un secret, pendant qu’ils posaient. Non pas dans le but avoué, douce utopie, de révéler leur âme — le secret le mieux gardé qui soit depuis l’aube des temps, on ne sait même pas au juste si elle existe, cette âme, quand bien même on a pu s'interroger sur son poids.

Je ne sais si l’on voit leur âme. J’ignore tout de leur secret. Mais ce que je vois, dans le silence qu’ils font autour de moi, c’est qu’ils ont vécu. Grâce à Olivier Verley, chacun de ces quarante-six êtres m'est extraordinairement présent. Ce n’est généralement que la mort qu’on voit à l’œuvre dans les photos. Ici aussi, bien sûr, elle travaille, mais à égalité avec la vie — ces images appartiennent autant à la mort qu’à la vie ; et ce qui m’impressionne tant en elles c’est, sans doute, ce miraculeux équilibre des forces ; pour l'atteindre, il faut beaucoup d'art,  d'amour, de foi et de sérieux.

Les morts sont vivants. C’est peut-être ça, le secret.

Didier da Silva, Les idées heureuses, 3 février 2011.

Lectures

Olivier Verley, La chambre du secret, photographies Olivier Verley, texte Eric Chevillard, Grâne, Créaphis Editions, 2010, 104 pages.

     Livre en main, quand j’en ai lu le sujet, ma première pensée a été : « mais alors ce n’est plus un secret » ? Car, à l’instar des Indiens d’Amérique, je pense que la photographie peut voler l’âme du sujet. Par-delà la fugacité de l’instantané ou le conformisme de la pose, l’art du portrait va bien au-delà de la représentation. Dorian Gray l’a appris à ses dépens. Et c’est là qu’Olivier Verley rejoint les maîtres anciens : il a demandé aux 46 personnes dont les portraits illustrent le livre de poser pendant quatre longues minutes, pensant à un secret de leur vie, seuls devant l’œil grand ouvert de l’objectif. Seuls devant notre œil,  qui a tout son temps. Certains de ces regards, comme le note Eric Chevillard, poétique auteur de l’introduction, nous fixent avec ironie ou défi, d’autres avec effroi. Mais les plus mystérieux, les plus poignants sont bien ceux qui s’offrent sans hésitation : yeux grands-ouverts, regard droit. Ils résonnent comme leurs lointains et anciens cousins du Fayoum : ils nous livrent tout simplement l’insondable secret de la vie.

 

Béatrice Montamat                                                                                                     

Sigila (revue bi-annuelle sur le secret), numéro 31, Printemps-Eté 2013.