LE BESTIAIRE

Le bestiaire rassemble un florilège de ces chers animaux entrevus, qui parfois m'autorisent à les regarder, et dans de plus rares cas à les fréquenter.
Aux tours gratuits qu'ils m'octroient, chacun dans son étrange manège, vont mes sidérations et une gratitude dont ils n'ont souvent que faire.
Et c'est très bien ainsi.

O. V.


Les animaux n'ont pas séparé la tête de leur corps, ils ont mis leur tête dans leur corps parce qu'ils ne vivent pas à la surface du monde, leur corps est tout entier à l'intérieur de la terre, de l'eau ou de l'air.
La tête des animaux se confond dans leur corps, leur tête c'est la terre, l'eau et l'air où ils rampent, nagent et volent. Si les animaux sont insaisissables c'est parce qu'ils sont dans le monde comme l'homme est dans sa tête. Et entrer dans l'eau, se projeter dans l'air ou creuser dans la terre pour les attraper c'est entrer en eux, c'est s'introduire dans leur propre monde et toucher leur liberté. Les hommes chassent les animaux comme ils tranchent la tête des hommes. (...)
Si la révolution a fait tomber des têtes, une autre révolution est en train de faire tomber la pensée de tous les hommes dans un seul et même panier. Les hommes sont en train de détruire l'espace insaisissable où ils sont libres parce qu'ils sont différents, le seul espace par où le monde est devenu vivable tout autour d'eux.


Jean-Luc Parant,
extrait de Le Vertige, coll. "Saxifrage", Créaphis, 1990.